Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 avril 2011 par le Conseil d'État (décision n° 346459 du 15 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Électricité de France, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 214-4 du code de l'environnement.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 9 mai 2011 ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP Baker et McKenzie, enregistrées le 20 mai 2011 ;
Vu la lettre du 1er juin 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Me Emmanuel Guillaume pour la requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus lors de l'audience publique du 7 juin 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que, selon l'article L. 214-3 du code de l'environnement, les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique sont soumis à une autorisation préalable de l'État ; qu'aux termes du paragraphe II de l'article L. 214-4 du code de l'environnement, qui fait l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité : « L'autorisation peut être retirée ou modifiée, sans indemnité de la part de l'État exerçant ses pouvoirs de police, dans les cas suivants :
« 1° Dans l'intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque ce retrait ou cette modification est nécessaire à l'alimentation en eau potable des populations ;
« 2° Pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique ;
« 3° En cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation ;
« 4° Lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l'objet d'un entretien régulier » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, cette disposition méconnaîtrait, en tant qu'elle s'applique à une autorisation délivrée à une entreprise concessionnaire de l'État pour la fourniture d'énergie électrique, tant la liberté contractuelle et le droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que le droit de propriété proclamé par les articles 2 et 17 de la même Déclaration ;
- SUR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ :
3. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
4. Considérant que les autorisations délivrées par l'État, au titre de la police des eaux, sur le fondement de l'article L. 214-3 du code de l'environnement ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d'un droit de propriété et, comme tels, garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le grief invoqué est inopérant ;
- SUR LA GARANTIE DES DROITS :
5. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la même Déclaration s'il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif ;
6. Considérant, en premier lieu, que les modifications ou retraits des autorisations délivrées par l'État au titre de la police des eaux, en application de l'article L. 214-4 du code de l'environnement, ne peuvent intervenir sans indemnité que dans les cas que cet article énumère de façon limitative ; qu'ils sont opérés dans des circonstances qui, extérieures à la volonté de l'autorité administrative, relèvent soit de l'exercice des pouvoirs de police de l'administration en cas d'« inondation », de « menace pour la sécurité publique » ou de « menace majeure pour le milieu aquatique », soit du non-respect par le titulaire de l'autorisation ou de la concession de ses obligations en cas « d'abandon » des installations ; que le champ des dispositions contestées est ainsi strictement proportionné aux buts d'intérêt général de la préservation du « milieu aquatique » et de protection de la sécurité et de la salubrité publiques ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, les autorisations, prévues par l'article L. 214-3 du code de l'environnement, sont consenties unilatéralement par l'État et ne revêtent donc pas un caractère contractuel ;
8. Considérant que, d'autre part, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où la modification ou le retrait de l'autorisation entraînerait pour son bénéficiaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ;
9. Considérant, en troisième lieu, que, s'agissant des concessions d'énergie hydraulique, les règlements d'eau figurant aux cahiers des charges annexés à ces concessions valent autorisation au titre des articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement ; qu'aux termes de l'article L. 214-5 : « Les règlements d'eau des entreprises hydroélectriques sont pris conjointement au titre de l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique et des articles L. 214-1 à L. 214-6. - Ces règlements peuvent faire l'objet de modifications, sans toutefois remettre en cause l'équilibre général de la concession » ; qu'il ressort du rapprochement du paragraphe II de l'article L. 214-4 et de l'article L. 214-5 que le « règlement d'eau » d'une entreprise concessionnaire de la fourniture d'électricité ne peut être retiré au titre de la police des eaux et que les modifications qui peuvent y être apportées, à ce titre, pour garantir la salubrité et la sécurité publiques ou protéger le milieu aquatique d'une menace majeure ne peuvent « remettre en cause l'équilibre général de la concession » ;
10. Considérant que, dans ces conditions, le législateur n'a pas porté aux situations légalement acquises une atteinte qui serait contraire à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; qu'il n'a pas davantage porté atteinte aux contrats légalement conclus ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Le paragraphe II de l'article L. 214-4 du code de l'environnement est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 juin 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 24 juin 2011.